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Cours 2018-2019

Évolutions, mutations et ruptures dans le monde de l’illicite

Séance 13 - Vendredi 18 janvier 2019

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La criminalité économique

Eric DANON

Bonsoir,

Comme nous l'avons vu lors de séances précédentes, la frontière entre activités légales et activités illégales devient de plus en plus floue. Conséquence de la mondialisation, l'univers économique ne juxtapose plus de façon étanche une sphère légale (où se développent les entreprises) et une sphère criminelle (régie par des groupes de type mafias ou cartels).

Nous avons étudié jusqu'à maintenant les nombreuses incursions, plus ou moins profondes, du crime organisé dans les affaires légales. Nous allons analyser aujourd'hui le mouvement inverse d’entreprises légales pénétrant le monde souterrain.

Cette criminalité économique, dont nous allons préciser les contours, voit son chiffre d'affaire progresser sans cesse. Sa prédation tend à s'exercer sur une très large échelle, allant jusqu'à influencer ou modifier la vie d’un nombre considérable d’individus, augmenter les risques liés à certains modes de production, détruire des environnements, etc. Elle va ainsi jusquà donner à des structures à façade légale, la capacité stratégique d’entrer dans un rapport de force avec les États dont ces derniers ne sortent pas forcément vainqueurs.

I. Criminalité économique, criminalité en cols blancs, criminalité des affaires, criminalité organisée... : de quoi parlons-nous ?

1. Un peu d'histoire

La notion de criminalité économique apparaît au 19ème siècle avec l’avènement de la société industrielle en Europe et aux États-Unis. Le débat, notamment au sein de l’école socialiste allemande, porte alors sur la question de savoir si les conditions économiques et sociales imposées par le processus de production capitaliste sont criminogènes, engendrant non seulement une criminalité de besoin des classes laborieuses mais aussi une criminalité d'exploitation et de profit commise par la bourgeoisie (Karl Marx, Le Capital, 1867).

Le premier texte considéré comme une référence reste l'étude Criminalité et conditions économiques du Hollandais William Bonger, publiée en 1905. Bonger y décrit la délinquance des possédants comme résultant de la maximisation de la logique spéculative et de capitalisation et distingue trois catégories :

- une délinquance professionnelle, c'est-à-dire recherchée, organisée, systématique et durable ;

- une délinquance de cupidité, tirant parti de toutes les occasions d'accroissement des profits ;

- une délinquance situationnelle, réalisée par des entrepreneurs en difficulté et cherchant à s'en sortir par toute une série de fraudes.

Puis le débat se précise dans un entre-deux guerres marqué par la crise économique et la grande dépression mais sans apporter d'éléments vraiment nouveaux.

On peut cependant souligner l’importance de la thèse d'Eugène Rozengart sur Le crime comme produit social et économique, soutenue en 1929 à la faculté de droit de Paris. Deux données importantes y sont reprises : (i) l'influence du contexte socio-économique sur la délinquance en général et (ii) l'existence d'une délinquance propre à la bourgeoisie. Cependant Rozengart en reste toujours à une problématique du passage à l'acte, le poids des règles du jeu capitaliste servant à expliquer aussi bien la délinquance populaire (réaction à une domination) que celle de la bourgeoisie (maximisation du profit).

L'apport théorique le plus novateur intervient quelques années plus tard, avec l'expression de criminalité en col blanc (white collar criminality), utilisée par le sociologue Edwin Sutherland (1883-1950) en décembre 1937 lors de l'assemblée de l'American Sociological Society, C'est ce concept qui va marquer les esprits et remporter le succès le plus durable.

Sutherland s'appuie sur les résultats de sa recherche, laquelle porte sur les activités délictueuses de soixante-dix sociétés appartenant aux deux cents plus grandes entreprises des États-Unis et dont la délinquance a fait l'objet de sanctions (surtout administratives et civiles devant des commissions fédérales, plus rarement pénales devant des juridictions fédérales). Cette délinquance consistait alors notamment en fraudes financières et abus de confiance divers, en actes de concurrence déloyale, ainsi qu’en violations des réglementations relatives aux brevets et à la protection des marques.

 

Pour s'en tenir à l'essentiel, Edwin Sutherland montre, sur cette base,

- qu'il existe bel et bien une criminalité des classes supérieures, commise par des personnes respectables, de condition sociale élevée, en lien avec leurs affaires, leur culture et milieu professionnels ;

- que «  le crime en col blanc est aussi un crime », d'abord parce qu'il est interdit et punissable au sens de la loi pénale (escroquerie, abus de confiance et de position, gestion déloyale, faux, corruption, etc.), ensuite parce qu'il est socialement dommageable et cause des préjudices économiques considérables ;

- enfin, que la criminalité des cols blancs est non seulement très peu visible, mais que, lorsqu'elle est connue, elle fait l'objet de procédures et de sanctions différentes de la justice pénale classique (telles que transactions, arbitrages, sanctions administratives et civiles...).

En développant aussi clairement l’idée que des crimes peuvent être commis par les classes supérieures de la population, en parlant d’une criminalité d’élite commise par les membres des secteurs économiques qui profitent de leur pouvoir et de leurs relations sociales pour commettre des infractions, Sutherland s'avère très novateur en sociologie politique.

 

Il réfute la conception des positivistes italiens fondateurs de la criminologie empirique pour qui la délinquance était réservée aux seules classes défavorisées. De façon liée, il critique le fait que la criminologie n'a jusque-là accordé aucune attention scientifique à la criminalité des hommes en col blanc mais a consacré tous ses efforts à la délinquance des rues (street crime) et donc aux personnes qui sont majoritairement condamnées par la justice pénale et envoyées en prison.

Le message de Sutherland est donc qu'il faut aussi s'interroger sur ce traitement privilégié de la criminalité économique. Il relève trois obstacles principaux aux poursuites contre les infractions économiques : (i) l'importance des relations politiques et financières des parties en cause, (ii) l'apparente insignifiance de certaines infractions et (iii) la difficulté de réunir les preuves suffisantes pour poursuivre, en particulier dans le cas de sociétés.

 

On notera enfin que ces trois précurseurs que sont Bonger, Rozengart et Sutherland développent tous une approche empreinte d'un moralisme social et religieux. Les deux premiers, influencés par les idées socialistes, situent leur réflexion dans le cadre de la recherche d'une société égalitaire et sans exploitation.  Sutherland est, lui, porté par un moralisme essentiellement d'origine religieuse et, contrairement aux précédents, apparaît moins soucieux de la redistribution des richesses que de la punition de tous les criminels, quelle que soit leur classe d'origine.

La définition de Sutherland (le crime en col blanc est celui qui est commis par une personne respectable, de haut statut social, dans le cadre de ses activités) a toutefois fait l’objet de nombreuses critiques, en ce que

- elle ne s’applique qu’à certaines catégories de la population délinquante. Elle n'est donc qu'une sous-catégorie de la délinquance économique, laquelle  touche des individus émanant de toutes les classes sociales ;

- elle est peu opérationnelle en droit car la classe sociale du prévenu n'interfère, du moins en théorie, ni dans l'instruction et ni dans le jugement d'une affaire.

Il nempêche, le concept de criminalité en col blanc a toujours autant de succès. Cela étant, depuis Sutherland, l'approche a évidemment évolué : s'y ajoutent notamment aujourd'hui la dimension psychologique ainsi que l'inclusion des élites politiques.

Ainsi Pierre Lascoumes, auteur de Sociologie des élites délinquantes (2004), précise-t-il qu'« il s’agit des actes transgressifs commis par des personnes qui exercent des responsabilités dirigeantes dans les entreprises et les organismes publics, ainsi que les fraudes commises par les commerçants et professions libérales ». Lascoumes sen tient ainsi à une définition sociologique et non pas juridique, cest-à-dire une délinquance qui désigne les élites (politiciens ou patrons de grandes entreprises) commettant des délits dordre financier plutôt que des infractions précises.

2. La nécessité dadopter une approche multi-critères

On notera que Sutherland ne parlait pas de « criminalité économique » et, de fait, cette notion mérite aussi d’être interrogée.

En effet, à partir du moment où, dans leur immense majorité, les actes délictueux ou criminels ont pour finalité la recherche d'un profit, la catégorisation de « criminalité économique » peut apparaître commode mais par trop englobante et imprécise quant à l'origine des criminels. Il faut donc en restreindre le champ via une série de critères.

Nous ramènerons ainsi dans la suite la criminalité économique à la criminalité des affaires, terme qui me paraît plus adapté personnellement et qui se définit par la commission d'activités illégales

- par une entité légalement constituée (aussi bien des entreprises et sociétés privées que des activités de l’État ou des entreprises d'économie mixte) ;

- dans le contexte de la vie économique, des affaires et de la finance ;

- réalisée par des moyens et méthodes qui ne font (en principe) pas appel à la force ou à la violence physique, mais se caractérisent bien plus par des procédés astucieux ou frauduleux (tromperies, falsifications) ; les infractions ainsi commises exigent par conséquent des connaissances et un savoir-faire propres aux acteurs du monde économique, commercial ou financier, ainsi d'ailleurs qu'une spécialisation toujours plus poussée des instances de détection, de poursuite et de sanction ;

- et dont le mobile essentiel est une volonté soit d'accumulation des profits, d'expansion, voire de domination économique (capitalisme sauvage ou killer capitalism poussé à l'extrême), soit de protection ou de survie à tout prix d'entreprises ou de domaines économiques en difficulté, voire en perdition.

Si vous vous demandez si tel ou tel délit tombe dans cette catégorie, je vous recommande de vous référer aux articles et ouvrages de Jean-Luc Bacher, juge suisse (au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone) qui retient les critères suivants :

- le statut social des auteurs ;

- la qualité juridique des actes pris en considération (infractions criminelles, violation des règles administratives, etc.) ;

- la qualité de l’intention criminelle (crimes intentionnels seulement ou aussi crimes par négligence) ;

- les motifs des auteurs (quête d’argent, de pouvoir, de prestige social, etc.) ;

- la qualité des victimes (le public dans son ensemble, les acteurs de la vie économique, les employeurs, les consommateurs, etc.) ;

- le contexte économique des crimes (strictement légitime ou aussi illégitime) ;

- le degré de subtilité des actes considérés (des actes subtils ou bien sans qualité particulière) ;

- le corpus delicti (la confiance dont on abuse, le pouvoir, les compétences professionnelles, etc.) ou les réactions sociales que suscitent les crimes.

Si vous souhaitez simplifier, retenez au moins deux critères : la criminalité économique (i) sopère généralement, contrairement au crime « classique », dans le cadre dactivités dentreprises juridiquement constituées et économiquement organisées et (ii) est constituée de délits et agissements perpétrés à l’encontre de léconomie et peut causer à cette dernière des dommages considérables.

Ces critères permettent de confirmer, s'il en était besoin, que criminalité économique et criminalité organisée ne doivent pas être confondues.

Rappelons en effet que la criminalité organisée est le fait de groupements (généralement de type familial, clanique ou ethnique) ou d'associations de criminels (de type gangs professionnels, organisations terroristes ou groupements occultes comme les sectes) qui poursuivent une volonté délibérée de commettre des actes délictueux, soit exclusivement, soit en lien avec des activités légales (de couverture et d'infiltration de la sphère économique formelle), et dont la préparation, la méthode et l'exécution des tâches se caractérisent par une organisation rigoureuse, stratégique et professionnelle. Elle est une véritable entreprise ou industrie du crime, visant une stratégie de profits, de rationalisation et d'extension internationale. 

Sans négliger ses liens étroits avec la micro criminalité quotidienne (street crime), ajoutons que la criminalité organisée opère essentiellement dans trois grands domaines d’activités.

 

Les deux premiers lui sont spécifiques. Il sagit (i) de la criminalité organisée de violence contre les personnes et contre les biens et (ii) de l'organisation de multiples trafics illicites extrêmement rémunérateurs (allant de la traite d'êtres humains jusqu'aux contrefaçons, trafics de drogue, d'armes et de matériaux sensibles).

 

Le troisième domaine dactivités interfère avec la criminalité économique ou daffaires par :

- une prédation financière qui, aujourd’hui est effectuée essentiellement dans le cyberespace : phishing, ransomwares, cyber braquages, etc. ;

- des formes de participation astucieuse à l'économie légale et régulière (escroqueries et fraudes financières, fiscales, douanières, etc.) ;

- des moyens tels que la corruption pour assurer son influence et son implantation ;

- des modes de recyclage des profits criminels (blanchiment dargent).

La structuration en filières et en réseaux nationaux et transnationaux de la criminalité organisée, alliée à ses moyens énormes en capitaux, donnent celle-ci une très grande capacité d’adaptation aux changements politiques, socio-économiques, juridiques, etc., et des atouts de pouvoir et d'influence énormes, d'où son ancrage pernicieux dans l'économie légale et ses accointances avec les appareils politique, de la police et de la justice.

On voit donc que les deux formes de criminalité doivent être distinguées : dun côté, une criminalité des affaires provenant d'entités légalement constituées et développant au premier chef une activité légale ; dun autre, des organisations criminelles qui tiennent secrets leur structure et leur effectif et poursuivent le but de commettre des actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens criminels.

 

Mais on voit, dans le même temps, que criminalité économique et criminalité organisées peuvent être étroitement liées car elles se se rejoignent sur trois points importants :

- la recherche du profit sans égard à la morale (dont la philosophie utilitariste peut se résumer par «  la fin justifie les moyens »)  ;

- les procédés utilisés (aussi bien par les délinquants que les organes de surveillance et de répression) qui sont de plus en plus avancés et imposent un savoir-faire propre aux acteurs du monde économique, commercial ou financier ; c'est évidemment lié non seulement à l’essor de l’informatique et des nouvelles technologies mais aussi à la complexité des structures des entreprises et des marchés financiers ;

- enfin, ces deux types de criminalité revêtent un caractère éminemment international, à l’exemple du blanchiment d’argent, de la corruption ou du financement du terrorisme. L’évolution des moyens pour les combattre témoigne également de cette transnationalité et de la nécessité d’une coopération internationale en matière pénale.

II. Effets et dégâts causés

1. 

Les dommages démocratiques

2. Les déstabilisations de dimension stratégique

III. Comment lutter ?

1. La réponse pénale : des peines globalement peu dissuasives

2. Prévention et justice réparatrice

 

Il ajoute que si la dénonciation régulière des « affaires » et des « scandales » peut laisser croire que les élites économiques et politiques ne sont pas à l’abri des mises en cause et des procès, ces événements masquent pourtant une toute autre réalité. Les déviances et délinquances des élites ne sont pas perçues comme ayant la même gravité que celles portant atteinte aux personnes et aux biens. Elles ne suscitent pas non plus la même réaction sociale, comme lécrivait déjà La Fontaine en 1678 dans sa fable Les animaux malades la peste

(...) Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir.

De fait, à quand remonte en France la dernière fois qu’une personne condamnée pour un crime en col blanc a été réellement en prison (dans une cellule) ?

 

Il n’existe aucune donnée sur les condamnations et peines d’emprisonnement des détenus en fonction de leur catégorie sociale professionnelle. Les données disponibles à propos des infractions de délinquance économique et financière (fraude fiscale, manquement à la probité, banqueroute ou abus de biens sociaux) peuvent concerner un Jérôme Cahuzac, un grand patron d’entreprise ou un français lambda.

Globalement, les chiffres disponibles permettent de constater que pour l’ensemble de ces délits, les peines sont plutôt légères. La condamnation à la prison ferme est plutôt rare. Ajoutons qu’elle n’implique pas forcément une incarcération, les peines pouvant être aménagées.

Fraude fiscale

Il y a juste un an, le 16 janvier 2018, le directeur des affaires criminelles et des grâces Rémy Heitz a communiqué des données concernant la fraude fiscale, lors de son audition à l’Assemblée nationale par la mission sur le verrou de Bercy. En 2016, 524 condamnations pour fraude fiscale ont été prononcées, dont 21% comportaient des peines de prison ferme, contre 32% pour l’ensemble des contentieux. Mais selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice, le quantum des peines d’emprisonnement ferme ne dépasse pas un an en moyenne. Ce qui signifie que dans les faits, les peines sont pour la plupart aménageables.

Il en est ainsi de la condamnation en appel le 15 mai 2018 de Jérôme Cahuzac à quatre ans de prison, dont deux avec sursis. Dans son premier jugement, trois ans de prison ferme, le tribunal correctionnel avait écarté tout aménagement de peine, en raison d’une faute qualifiée « d’une exceptionnelle gravité ». En appel, l'accusé évite la case prison car la peine de deux ans ferme qu'il devra effectuer est aménageable, vu l'absence de récidive.

Autres infractions
 

Si l’on regarde les condamnations pour d’autres infractions, le taux d’emprisonnement ferme se situe à peu près dans la même fourchette. Par exemple, sur les manquements à la probité, qui comprennent les délits de favoritisme, concussion, corruption, détournement de biens publics par une personne dépositaire de l’autorité publique, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et recel de ces délits. « En 2016, sur les 252 condamnations prononcées pour manquement à la probité, 169 ont été assorties d’une peine d’emprisonnement (67%), dont 38 avec de l’emprisonnement ferme (22%) pour tout ou partie avec un quantum moyen d’emprisonnement ferme s’élevant à 12,1 mois », précise le ministère de la Justice.

 

Pour les abus de biens sociaux, le quantum des peines se situe en deçà d’un an, tandis que celui des peines de prison pour banqueroute est encore plus minime, ne dépassant pas six mois en 2014 et 2015 et baissant à 3,4 mois selon les données provisoires pour 2016.

Non seulement les peines d’emprisonnement fermes sont assez peu courantes quand on étudie les délits qui peuvent s’apparenter à de la délinquance en col blanc, mais les peines sont souvent si faibles que les prévenus ont de grandes chances de bénéficier d’un aménagement de peine.

Toutefois, certaines condamnations débouchent sur de la peine feme. La Chancellerie a indiqué qu'au 1er janvier 2018, 10 personnes étaient détenues pour fraude fiscale sans préciser si elles étaient en attente de jugement ou condamnées en exécution de jugement. 

Un bilan de l’activité du Parquet national financier témoigne également de la clémence de la justice pour les cols blancs. Créée en 2013 après l’affaire Cahuzac, cette juridiction a pour objet de traquer la grande délinquance économique et financière, même si elle n’est pas le seul parquet à traiter des affaires financières. Dans un rapport parlementaire sur le PNF, les députés Sandrine Mazetier et Jean-Luc Warsmann pointaient des « peines prononcées trop peu dissuasives ». Et s’ils notaient, à propos des condamnations pour fraudes fiscales dans les affaires suivies par le PNF que « les peines sont de plus en plus lourdes, faisant du délit de fraude fiscale l’infraction délictuelle la plus sévèrement réprimée du droit pénal français », ils ajoutaient que « les peines d’emprisonnement ferme sont le plus souvent réservées aux dossiers qui relèvent de la récidive ou qui sont connexes à d’autres infractions. La majorité des condamnations définitives sanctionnant la fraude fiscale comportent des peines d’emprisonnement avec sursis, généralement inférieures ou égales à 18 mois ».

Il est d'ailleurs difficile de trouver des cas d'incarcération parmi les affaires les plus médiatisées ces dernières années. Vous les trouverez en Annexe.

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III. Importance de la criminalité économique.

 

https://www.liberation.fr/checknews/2018/02/21/quel-est-le-dernier-delinquant-en-col-blanc-a-avoir-fait-de-la-prison_1630807

La criminalité économique représente un abus de confiance et de bonne foi dans les relations d'affaires et porte ainsi atteinte à la crédibilité et à la sécurité de certains secteurs d'activité économiques, voire de l'ordre économique et financier dans son ensemble. Elle provoque des dommages ou des préjudices considérables, non seulement sur un plan strictement patrimonial, mais également à divers niveaux économiques et sociaux, par des dégâts causés aux ressources humaines difficilement estimables (pertes d'emploi, par exemple), à la viabilité des entreprises, aux assurances sociales, aux collectivités publiques ou encore à la qualité de la vie et de l'environnement.

En Russie, il vaut mieux faire appel à des sociétés de sécurité « recommandées » pour éviter tout dommage aux sites de production. Au Nigéria, les enlèvements contre rançon d’employés de compagnies pétrolières se multiplient. En Italie, le marché des déchets industriels est largement contrôlé par des familles de la Camorra napolitaine. Des sociétés utilisant Internet pour vendre leurs services voient l’accès à leur site bloqué par des envois massifs de spams et doivent payer une rançon pour pouvoir redémarrer leur activité. Les groupes criminels sont même présents sur les marchés boursiers : Anthony T.G. Graziano, membre de la famille mafieuse Bonano, fut condamné en 2002 par la justice Américaine pour avoir créé le hedge fund « New World Exchange » afin de blanchir l’argent sale de son organisation. Chaque jour apporte ainsi son lot de nouvelles exactions, commises par des criminels dans la sphère légale. Cette incursion dangereuse doit absolument être combattue pour éviter le désordre. L’ennemi d’aujourd’hui, le concurrent, est un moindre mal. Chaque compétiteur connaît les armes qu’il peut utiliser pour tenter de dominer son domaine d’activité. Mais si le crime organisé devenait l’ennemi numéro 1, il deviendrait impossible de se battre à armes égales, car l’organisation criminelle fait fi des lois et contraintes imposées au sein de la sphère économique.

 

Prise d'otage de salariés à l'étranger, fraudes, vols de données ou de matériel, tentatives de déstabilisation, sabotage d'installations, espionnage... Les atteintes criminelles sont nombreuses contre les entreprises. Savoir s'en prémunir constitue un facteur de compétitivité.

Sûreté, vous avez dit sûreté ? En 2011, la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a recensé plus de 1.000 attaques commises contre les entreprises... Des atteintes qui peuvent aussi bien prendre la forme de prise d'otages de salariés à l'étranger, que de vols de brevets, de données commerciales ou de matériel, de détérioration d'installations...

C'est le sujet du livre "Gérer les risques criminels en entreprise",co-écrit par Alain Juillet, Olivier Hassid et Mathieu Pellerin (Editions De Boeck, 39 ?), qui dresse un panorama des actes criminels commis envers les entreprises, et recense les moyens de s'en prémunir.
Les auteurs citent par exemple des cas de kidnapping de personnel à l'étranger, que ce soit de la main d'?uvre locale ou expatriée. "Il s'agit le plus souvent de flash kidnappings, méthode facile pour des populations pauvres et une jeunesse désoeuvrée de soutirer quelques centimes ou quelques milliers de dollars à des multinationales." Et de rappeler le cas des salariés d'Areva enlevés au Niger en septembre 2010 ou les nombreux enlèvements d'employés d'entreprises pétrolières occidentales au Nigeria.

Vols, sabotages, fuites d'informations

Les attaques criminelles prennent de multiples formes, à l'instar des vols : vols dans les magasins, de matériaux, de colis, de matériel ou de données dans les bureaux... "Les entreprises sont également exposées aux actes de sabotage et de vandalisme. L'actualité étant riche à ce sujet, citons pêle-mêle les sabotages contre les camions-citernes lors du blocage des dépôts pétroliers en octobre 2008, les sabotages de quatre lignes ferroviaires de la SNCF en novembre 2008 ou encore le cas du sabotage d'un Airbus A320 la veille d'une livraison dans l'usine Airbus de Montoir qui avait coûté plusieurs centaines de milliers d'euros à l'entreprise", écrivent les auteurs.

Les affaires d'espionnage et de fuites d'informations sont aussi légion. Pour ne citer que deux affaires, rappelons le cas de Li li, la stagiaire chinoise de Valeo, qui a transféré des données de l'entreprise sur son ordinateur personnel en 2005, ou celui de Marwan Arbache, ancien salarié de Michelin, qui a essayé de vendre des informations au concurrent Bridgestone en 2007.

Crime organisé, cybercriminalité, menaces

Les attaques du crime organisé existent également envers ou à l'insu des entreprises. "Ils peuvent aller du simple vol en passant par la prise d'otage, l'espionnage industriel, le racket, la contrefaçon ou l'utilisation d'un site comme lieu de contrebande. A titre d'exemple, une compagnie minière voyait ainsi ses cargos utilisés à son insu pour faire passer de la drogue depuis les Caraïbes jusqu'en Amérique du Nord", lit-on dans l'ouvrage. Le crime organisé est également de plus en plus actif en matière de détournement des filières de traitement de déchets à son profit.

Quant à la cybercriminalité, elle est désormais omniprésente. Les auteurs donnent l'exemple du programme Nitro, qui a fait des ravages fin 2011, en visant "quarante-huit entreprises britanniques, japonaises ou bien encore italiennes des secteurs de la défense et de la chimie. [Il] a été commandé à des fins d'espionnage industriel pour capter des informations sensibles (secrets de fabrication, documents stratégiques ou classifiés)".
L'intimidation de salariés fait aussi partie des risques à appréhender : l'ouvrage rappelle par exemple le cas des cadres de NyseEuronext, menacés de mort ou victimes de dégradations de leurs véhicules par le SHAC, association de défense des animaux, suite à l'introduction en Bourse d'un laboratoire pratiquant la vivisection.

Ne pas sous-estimer le coût de ces attaques

La sûreté ne fait certes pas partie des activités "productives" d'une entreprise, et les dirigeants peuvent rechigner à y mettre les moyens, n'y voyant pas de retour sur investissement immédiat. Mais ne pas anticiper ce type de risques peut coûter cher à l'entreprise, en terme d'image, de réputation, de procédures judiciaires, d'impact sur le cours de Bourse, ou encore de perte d'exploitation suite à une interruption d'activité.

Les seules attaques informatiques coûtent environ 2,4 millions d'euros par an à chaque grande entreprise française, selon McAfee. Et selon une étude réalisée par la Chambre de commerce britannique, 72% des entreprises estiment que la criminalité pèse sur leur activité. 26% d'entre elles identifient des coûts relatifs à la baisse de moral des salariés, 10% à la dégradation de l'image de l'entreprise, et 4% aux difficultés à obtenir une police d'assurance suite à une attaque.

"La responsabilité des entreprises et de ses dirigeants étant de plus en plus recherchée en cas de catastrophe [...], le management n'a pas d'autre choix, à moins de les mettre en danger, que de prendre les mesures de prévention et de protection qui s'imposent". Pour reconnaître une faute excusable de l'entreprise, la jurisprudence Karachi a d'ailleurs imposé la mise en ?uvre de mesures préventives de sécurité, et plus seulement la reconnaissance d'un danger.

Retard de la France

Les auteurs déplorent le retard de la France par rapport aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou à l'Allemagne en matière de mise en place d'une direction "sûreté" dans les grandes entreprises. 24% des entreprises françaises (et 16% des entreprises européennes) n'ont pas de stratégie de sécurité ou ne l'ont pas revue depuis au moins trois ans, selon une étude de Fortinet réalisée en 2011. "Lafarge, pourtant présente dans près de quatre-vingts pays, n'a créé un département interne qu'en 2007, et Peugeot, présente dans une soixantaine de pays, seulement en 2009. [...] Parallèlement, certaines entreprises sont imprégnées d'une culture sûreté pour des raisons historiques. C'est notamment le cas d'Air France, à la suite d'une prise d'otage marquante dans les années 1990, ou de groupes pétroliers comme Shell, BP ou Total, qui expérimentent les malveillances quotidiennement dans des pays à risques", précisent les auteurs de l'ouvrage.

Le directeur sûreté, indispensable homme de l'ombre

Les directeurs sûreté (ou sécurité) sont ainsi chargés de prévenir ces risques autant que faire se peut, en suggérant des règles de bonnes conduites pour le personnel en déplacement ou implanté à l'étranger, en analysant les menaces qui pèsent sur l'entreprise et les risques auxquels elle est exposée, mais aussi en réalisant des plans de continuité d'activité et de gestion de crise.

D'autres missions lui incombent : "recenser les incidents constatés dans l'ensemble des filiales du groupe, vérifier que les dispositifs physiques de protection (badges, contrôles à l'entrée des sites, systèmes de vidéosurveillance, etc) soient conformes au niveau de risque estimé, s'assurer que les normes du groupe en matière de sûreté soient respectées par les collaborateurs et effectuer des piqûres de rappel le cas échéant [...], conseiller le top management sur la pertinence ou non d'envoyer des collaborateurs en déplacement dans des pays à risques, etc...", lit-on dans l'ouvrage.

La recette miracle n'existe pas, mais prendre la mesure de certains risques et les anticiper peut permettre d'éviter bien des drames, qu'ils soient humains, financiers ou réputationnels. A titre d'exemple, Sanofi a lancé en juin 2011 une campagne interne de sensibilisation à la protection de l'information, qui a pour slogan "une petite fuite peut causer de grands dégâts". Selon les auteurs du livre, cette campagne a déjà facilité la remontée d'incidents à la direction de la sûreté et une baisse des vols d'ordinateurs.

 

https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2002-3-page-58.htm

Au cours des années 80 et 90, l'intérêt (médiatique, politique, judiciaire, scientifique) relatif à la criminalité organisée a été très marqué (Queloz, 1997). Ce n'est que depuis le début des années 90 (crise économique aidant) que l'attention et la préoccupation portées au phénomène de la criminalité économique se sont considérablement accrues. Nous constatons aujourd'hui une attitude bien plus critique de la part non seulement du monde académique et de la recherche, mais aussi des médias, de responsables politiques et de la population parfois indignée face à l'" économie privée " en général, aux milieux financiers et d'affaires, aux capitaines d'industrie et aux cercles dirigeants. Sont décriés : leur attitude hautaine, élitiste, autoritaire, arrogante, leurs modes d'action et leurs comportements très peu transparents, frappants, hors normes, parfois carrément déviants, voire délinquants, peu soucieux de l'intérêt général voire anti sociaux, qui ont incontestablement instillé le doute quant à leur loyauté et leur honnêteté, leur fiabilité et leur crédibilité.

Les concepts de criminalité économique et de criminalité organisée

 

Le concept même de criminalité organisée est d'origine policière : il a essentiellement été utilisé à partir des années 20, surtout dans des rapports de police, à la suite de la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis (de 1919 à 1933) et du trafic clandestin qui s'y est développé, permettant à des organisations criminelles, en particulier mafieuses (d'origine sicilienne), d'étendre leur influence grâce aux énormes bénéfices ainsi réalisés  [4][4]Le président Hoover avait d'ailleurs mandaté en 1929 une…. C'est ensuite, à partir des années 70, lorsque des organisations criminelles ont pris le virage stratégique essentiel du trafic illicite de stupéfiants, que la criminologie s'est lentement mise à étudier le développement et les caractéristiques de la criminalité organisée. Au cours de ces dix dernières années, la criminalité organisée a connu un essor extraordinaire, aussi bien comme réalité criminelle - marquée par une évolution non seulement quantitative (augmentation des trafics illicites, des actes de violence et d'intimidation, des affaires de fraude ou d'escroquerie en tous genres, de corruption et de recyclage des produits criminels), mais également qualitative (professionnalisation, extension en réseaux et internationalisation accrues) - que comme objet de préoccupation politique - puisque des sommets internationaux y ont été consacrés, que ce soit sous l'égide des Nations unies, du G7 (le groupe des sept pays les plus industrialisés du monde), du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne, et que des rapports d'enquête gouvernementaux ont été au centre de discussions parlementaires en Allemagne (dès 1990), en Italie (classiquement sur la mafia, puis sur les affaires de corruption en chaîne, ou Tangentopoli, à partir de février 1992), en France en 1993  [5][5]Aubert F., 1993, " Rapport de la commission d'enquête…, ainsi qu'en Suisse, en 1993 également  [6][6]Pieth M. et Freiburghaus D., 1993, " Die Bedeutung des… -, et finalement comme objet d'une analyse criminologique un peu plus rigoureuse et plus approfondie [...].

Définitions opératoires

Les définitions juridiques de phénomènes aussi vastes et complexes que la criminalité organisée et la criminalité économique sont soit limitées à quelques normes-cadres forcément réductrices, ou alors prennent la forme d'une liste plus ou moins systématique de textes déjà édictés par le législateur et qui tentent de circonscrire ces phénomènes. Dans un but de clarification et de synthèse, nous proposons les définitions opératoires suivantes de l'une et de l'autre.

 

Nous définirons d'abord la criminalité organisée, puisqu'elle constitue un ensemble bien plus vaste, quant à son contenu et ses ramifications, que celui de la criminalité économique. Celle-ci est le fait de groupements (généralement de type familial, clanique ou ethnique) ou d'associations de criminels (de type gangs professionnels, organisations terroristes ou groupements occultes comme les sectes) qui poursuivent une volonté délibérée de commettre des actes délictueux, soit exclusivement, soit en lien avec des activités légales (de couverture et d'infiltration de la sphère économique formelle), et dont la préparation, la méthode et l'exécution des tâches se caractérisent par une organisation rigoureuse, stratégique et professionnelle. Elle est une véritable entreprise ou industrie du crime, visant une stratégie de profits, de rationalisation et d'extension internationale, qui opère dans les trois grands domaines d'activités suivants, sans toutefois négliger ses liens étroits avec la microcriminalité quotidienne (street crime) : la criminalité organisée de violence contre les personnes et contre les biens ; l'organisation de multiples trafics illicites extrêmement rémunérateurs (allant de la traite d'êtres humains jusqu'aux contrefaçons, trafics de drogue, d'armes et de matériaux sensibles) ; la criminalité économique et d'affaires, par des formes de participation astucieuse à l'économie légale et régulière (escroqueries et fraudes financières, fiscales, douanières, etc.), des moyens tels que la corruption pour assurer son influence et son implantation, des modes de recyclage des profits criminels (blanchiment d'argent). Sa structuration en filières et en réseaux nationaux et transnationaux, alliée à ses moyens énormes en capitaux, donnent à la criminalité organisée une très grande capacité d’adaptation aux changements politiques, socio-économiques, juridiques, etc., et des atouts de pouvoir et d'influence énormes, d'où son ancrage pernicieux dans l'économie légale et ses accointances avec les appareils politique, de la police et de la justice.

 

Enfin, nous aimerions préciser pourquoi, selon nous, il faut employer l'expression de criminalité organisée, et non pas de crime organisé. Dans les langues latines en particulier, le concept de crime (comme acte prohibé et illégal) désigne surtout un comportement humain individuel, analysé classiquement sous l'angle de la criminologie du passage à l'acte et, plus récemment, de la criminologie de l'acte  [7][7]Cf. par exemple Cusson, 1998., alors que le concept de criminalité renvoie, quantitativement, à un ensemble de crimes (commis, connus, sanctionnés) dans un espace donné et, qualitativement, à des processus de confrontations sociales complexes entre acteurs du contrôle et de la réaction sociale et acteurs délinquants. Dans ce sens, le terme de criminalité organisée est plus juste et adéquat que celui de crime organisé, puisque l'on a bel et bien affaire, en l'occurrence, à un ensemble de comportements criminels de natures diverses (hétérogènes), qui s'inscrivent dans une dynamique de confrontations et d'alliances collectives, et non pas seulement à des actes criminels individuels et isolés. Il faut reconnaître cependant que l'expression anglo-américaine organized crime s'est généralisée et l'emporte dans toute la littérature spécialisée  [8][8]Cela est probablement normal en anglais, puisque le terme….

Quant à la criminalité économique, nous la définirons comme l'ensemble des activités illégales dont les spécificités essentielles sont, selon nous, les suivantes : elle se déroule dans le contexte de la vie économique, des affaires et de la finance, et concerne aussi bien des entreprises et sociétés privées que des activités de l'Etat ou des entreprises d'économie mixte. Elle est réalisée par des moyens et méthodes qui ne font (en principe) pas appel à la force ou à la violence physique, mais se caractérisent bien plus par des procédés astucieux ou frauduleux (tromperies, falsifications). Les infractions ainsi commises exigent par conséquent des connaissances et un savoir-faire propres aux acteurs du monde économique, commercial ou financier, ainsi d'ailleurs qu'une spécialisation toujours plus poussée des instances de détection, de poursuite et de sanction. Le mobile essentiel des délinquants économiques (dont la philosophie utilitariste peut se résumer par " la fin justifie les moyens ") est une volonté soit d'accumulation des profits, d'expansion, voire de domination économique (capitalisme sauvage ou killer capitalism poussé à l'extrême), soit de protection ou de survie à tout prix d'entreprises ou de domaines économiques en difficulté, voire en perdition.

La criminalité économique représente un abus de confiance et de bonne foi dans les relations d'affaires et porte ainsi atteinte à la crédibilité et à la sécurité de certains secteurs d'activité économiques, voire de l'ordre économique et financier dans son ensemble. Elle provoque des dommages ou des préjudices considérables, non seulement sur un plan strictement patrimonial, mais également à divers niveaux économiques et sociaux, par des dégâts causés aux ressources humaines difficilement estimables (pertes d'emploi, par exemple), à la viabilité des entreprises, aux assurances sociales, aux collectivités publiques ou encore à la qualité de la vie et de l'environnement. Or, malgré cela, la criminalité économique bénéficie encore d'une tolérance sociale et institutionnelle surprenante, en raison probablement des aspects peu visibles de ses modalités et de la difficulté d'évaluer toutes ses conséquences négatives.

 

Il est tout d'abord indéniable que certains liens étroits peuvent unir la criminalité organisée et la criminalité économique dans leur quête éperdue de profits. " Une évidence saute aux yeux, mais son énoncé même reste tabou : la finance moderne et la criminalité organisée se renforcent mutuellement "  [9][9]Maillard, 1998, p. 44.. Ces vingt dernières années, l'expansion considérable des marchés financiers internationaux est en effet allée de pair avec l'explosion de la criminalité économique et organisée transnationales. Nous avons donc au moins trois dénominateurs communs à la criminalité économique et à la criminalité organisée. Une volonté effrénée d'enrichissement et d'accumulation, à la fois de biens et de pouvoir, leur sert de moteur principal. Elles sont en effet dominées toutes deux par une logique économique où " le caractère moral ou amoral d'un comportement perd sa signification face à un objectif de rentabilité " cultivé à l'extrême  [10][10]Debuyst, 1998, p. 175. Elles ont l'une et l'autre un caractère professionnel et même de professionnalisme toujours plus poussé, illustré par le recours aux moyens les plus modernes, notamment aux instruments financiers et de spéculation les plus fuyants et difficilement contrôlables. Leur dimension internationale (collaboration entre groupes de divers pays), transnationale (au-delà des frontières étatiques) et supranationale (au-dessus des lois et souverainetés nationales et internationales) rend ces phénomènes sans limites (borderless) et hors de portée de tout contrôle global : la mondialisation et la globalisation de la criminalité économique et de la criminalité organisée a déjà pris plusieurs longueurs d'avance sur celles de l'économie et des organisations officielles et légales. C'est bien ici que le concept de macrocriminalité, désignant les activités criminelles qui représentent les risques les plus sérieux pour les sociétés et leur sécurité, peut se montrer le plus pertinent.

 

Néanmoins, et malgré cette évolution rapide, les deux ensembles " criminalité organisée " et " criminalité économique " ne se recoupent pas complètement et ne sont donc pas à confondre, ni à considérer comme des synonymes. Ce qui continue, en effet, de caractériser la criminalité organisée, c'est qu'elle est le fait de véritables cartels du crime, qui se sont créés et développés dans une constante dynamique conflictuelle (d'opposition, de domination et d'écrasement). Les activités criminelles sont leur moyen essentiel de fonctionnement et de survie, et elles dépassent largement, en nombre autant qu'en nature, les seuls actes de criminalité économique ; ces organisations font d'abord et surtout régner la terreur et exercent une violence meurtrière implacable. Le potentiel de dangerosité de la criminalité organisée est ainsi nettement supérieur à celui de la criminalité économique (qui n'est pas, pour autant, négligeable !), en particulier parce que les " organisations criminelles sont enchâssées dans des formes spécifiques de clientélisme et accumulent du capital économique, politique, social et symbolique en mobilisant des ressources diverses : économiques, politiques, sociales et militaires "  [11][11]Cartier-Bresson, 1997, p. 66..

En revanche, la criminalité économique " traditionnelle " a plutôt sa source ou son foyer dans une entreprise (quelle que soit sa taille) dont le capital de départ a en principe été rassemblé de façon légitime pour lui permettre de contribuer aux processus économiques légaux. Selon les circonstances, contextes, conjonctures (cycles économiques) ou opportunités, ses acteurs vont recourir à des activités astucieuses ou frauduleuses, soit pour accroître leurs profits et leur emprise sur le marché, soit pour tenter de surmonter des difficultés économiques (endettement ou crise de liquidités, par exemple), mais (contrairement aux organisations de type mafieux) sans volonté établie de recourir à des actes de violence physique (intimidation, voire élimination).

En résumé, les chemins de l'une et de l'autre peuvent se croiser dans le cadre des actes de criminalité économique réalisés par des organisations criminelles (fraudes, corruption et phase névralgique de recyclage des produits de leurs divers trafics illégaux et de réinvestissement dans l'économie légale) ; mais aussi, en sens inverse, lorsqu'une entreprise multinationale, comme un fabricant de cigarettes par exemple, choisit d'alimenter la contrebande dans certaines régions afin de pouvoir infiltrer de nouveaux marchés et s'y implanter à long terme... Une telle entreprise ne commet alors pas seulement des actes de criminalité économique (notamment par des violations de réglementations douanières et fiscales), mais participe également à la criminalité organisée : sans constituer elle-même une organisation criminelle, cette entreprise va agir ponctuellement par des accointances utilitaires avec des organisations de type mafieux.

Ce qui est toutefois fondamental aujourd'hui, sur le plan de la réflexion en criminologie, c'est de parvenir à sortir des ornières tracées par les deux perspectives théoriques distinctes qui régissent de façon séparée et cloisonnée les recherches sur la criminalité économique d'une part et sur la criminalité organisée de l'autre. En effet, depuis 1940 environ  [12][12]Smith (1991) en attribue la faute au succès du sermon de…, c'est essentiellement le paradigme du complot des gangsters venus de l'étranger qui domine continuellement les travaux portant sur la criminalité organisée (importée par les Italiens, les Japonais, les Chinois ou aujourd'hui les Russes...), alors que le paradigme des entrepreneurs en col blanc (white collar businessmen, qui sont, eux, des gens bien et respectables, et non de vulgaires gangsters...) continue d'influencer les études sur la criminalité économique.

Or, comme le suggèrent bon nombre d'auteurs, ce sont bien davantage les potentialités du paradigme de l'entreprise ou de l'organisation et de leurs diverses formes d'expression (des plus légitimes aux plus illégitimes) qui doivent désormais être pleinement exploitées pour étudier, dans une perspective large, les similitudes, différences et inter-relations entre les activités économiques légales, la criminalité économique et la criminalité organisée.

Pour ce faire, il faut d’abord comprendre qui est l’ennemi et quels sont ses modes d’action.

https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2016-v49-n1-crimino02473/1036196ar.pdf

excellent !

tableau_criminalité.jpeg

Source : "Comment le crime organisé s’empare des actifs de l’entreprise », Philippe Véry et Bertrand Monnet, in Sécurité et stratégie 2009/2.

 

I.

II.

Conclusion

 

./.

III.

 

Plan de la séance 13

La criminalité économique

I. Criminalité économique, criminalité en col blanc, criminalité des affaires, criminalité organisée... De quoi parlons-nous ?

1. Un peu d'histoire

2. La nécessité dadopter une approche multi-critères

Introduction

Criminalité économique - criminalité stratégique - comment lutter ?

I. Criminalité économique

1. De quoi parlons-nous ?

Typologie et exemples

II. Criminalité stratégique

Influence ou modifie l’ordre du monde

III. Comment lutter ?

Droit

Law enforcement

Société civile

I. "Au nom d’Allah..."

1. La revendication religieuse

2. Distinguer entre objectifs collectifs et démarches individuelles

II. Lutte globale et terrorisme transnational.

1. Une violence aux racines « glocales » 

2. De nouvelles règles d'affrontement

3. Un terrorisme transnational

III. La séduction de la violence.

1. La « promesse » du djihad

2. Perceptions et représentations

2ème Partie : Pourquoi la France ?

I. Pourquoi nous ? 

1. Un pays visé pour ce qu’il est et pour ce qu’il fait

2. Propagande et réalité

3. Vulnérabilités nationales

II. Qui sont «  nos » terroristes ?

1. Des parcours diversifiés mais convergents

2. Les parcours de radicalisation

3. Le passage à l'acte

F1.2.12. a. Plan
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