ERIC DANON
Ambassadeur

Cours 2018-2019
Évolutions, mutations et ruptures dans le monde de l’illicite
Séances du 28 septembre 2018 au 22 février 2019

Le Compendium
Eric DANON
Pour les étudiants du CRM 213 :
Ce compendium est une première synthèse du cours, établie à partir des seize séances d’enseignement dispensées de septembre 2018 à février 2019. En reprenant et en réorganisant les idées force de chacune d’entre elles, j’ai souhaité constituer à votre intention une base de travail, le minimum nécessaire pour préparer l’examen. Mais au 24 février 2019, je n’ai pas beaucoup avancé et ne peux mettre en ligne que les premiers éléments ! Il faudra donc naturellement vous reporter aux différents cours pour préparer l’examen. Bonne lecture - et n’hésitez pas à le compléter en m’envoyant vos ajouts et réflexions par mail !
Evolutions, mutations et ruptures dans le monde de l’illicite
Première synthèse établie en vue de l’examen du 1er mars 2019
Introduction : La globalisation a favorisé le développement des menaces criminelles.
Depuis trente ans, la mondialisation développe les échanges de toute nature et le commerce marchand. Elle favorise ainsi les liens entre des millions d'individus de cultures différentes et rapproche ces cultures. Elle a libéré les forces productives par la circulation des personnes, des biens et des capitaux, la diffusion de l'information et de la technologie. Ses bénéfices pour la paix dans le monde sont indéniables : le niveau d’interdépendance économique entre les grands blocs géopolitiques a rendu improbable la résurgence d’une guerre mondiale.
Cependant la mondialisation a, en retour, substitué à ce risque majeur le développement accéléré des menaces anciennes et l'émergence de nouvelles menaces :
- En réduisant les entraves au libre-échange, elle a affaibli les frontières physiques et réglementaires tout autant au bénéfice des activités criminelles qu'à celui des échanges économiques légaux. La mondialisation a en effet ouvert un espace de liberté « global » par le marché et non par le droit. Autrement dit, le marché s’est mondialisé, faisant tomber les frontières mais le droit n'a suivi que péniblement ce mouvement. Ce « retard du droit sur le marché » est un des éléments les plus déterminants dans la montée des phénomènes criminels contemporains. De fait, le marché, qui a envahi toutes les sphères de la société, même celles qui relèvent de l’intime et du sacré, n'est soumis qu'à des règlementations internationales faibles, tant qu’elles ne sont pas adoptées par tous les pays ; il génère des injustices à un niveau jamais atteint dans l'histoire, met en cause l'autorité des institutions publiques comme privées et parvient à saper certains fondements des États.
- Le développement de l'internet et de l'économie numérique ont (i) représenté l'opportunité historique que se constitue un véritable « marché du crime » en mettant en relation une offre et une demande structurées de produits plus ou moins illégaux et (ii) favorisé le développement d'une panoplie complète de cyber menaces, allant de délits classiques simplement facilités par l'internet à d’autres, plus sophistiqués, élaborés à partir des spécificités de l'écosystème numérique. A bien des égards, l'hyper connexion du monde conduit à son hyper vulnérabilité, vulnérabilité pour les États bien sûr, mais aussi pour les individus et les entreprises.
Bien entendu, la mondialisation des échanges n'est pas responsable de tous ces maux, dont beaucoup préexistaient à petite échelle. Dans la plupart des cas, elle a plutôt fourni les conditions de leur prolifération et amplifié des phénomènes qui sévissaient à des niveaux plus locaux.
Elle a aussi révélé des marchés illicites gigantesques en rendant accessible presque tout ce qui peut être désiré, fourni des moyens de leur exploitation, et levé beaucoup de barrières qui entravaient le commerce, entre autres, de l'illicite. En cela, la criminalité internationale contemporaine est bien la fille naturelle de la mondialisation et de la technologie.
I. L’affaiblissement de la sphère régalienne dans les pays démocratiques
Dans la plupart des pays démocratiques avancés et d’abord en Europe, de nombreuses fonctions régaliennes sont affectées par la mondialisation ; beaucoup se trouvent affaiblies alors que très peu d’autres se renforcent.
Du côté de l’affaiblissement , on observe plusieurs phénomènes :
- Le « contournement » des États, non seulement, comme on l'a dit, à cause de la perméabilité de leurs frontières physiques devenues transparentes aux flux de toute nature, mais aussi par l'affaiblissement de leurs normes juridiques devenues inapplicables dans des cadres nationaux trop étroits.
- La perte progressive par l’État de son monopole de l'élaboration normative sur son propre territoire.
L'édification des règles juridiques peut être désormais transférée à un cadre supranational (pensez à l'Union européenne), ou établie par les instances régulatrices de nouveaux réseaux (bien peu de responsables savent ainsi qui élabore les normes d'Internet ou gère l’archivage du génome humain), ou enfin être « autogérée » par des systèmes communautaires décidés à faire primer leurs propres règles sur les lois nationales (la formation des responsables cultuels depuis des pays étrangers, par exemple).
- La facilitation de l'accès des personnes aux législations étrangères pour « contourner » les contraintes juridiques nationales.
La mondialisation traduit la capacité progressive des individus de s'affranchir des limites des frontières territoriales nationales pour accomplir ailleurs un nombre croissant d'activités (que ces dernières concernent le travail, la religion, la culture, les loisirs, ...) Elle tend ainsi à brouiller les notions de légalité et d'illégalité. En effet, la globalisation, par la facilité des transferts qu'elle permet, amène un nombre croissant d'individus et d'entreprises à ne plus se demander si un acte est répréhensible « en soi » mais s'il existe un moyen de l'effectuer en toute légalité quelque part dans le monde, à un coût suffisamment faible pour que l'opération soit rentable. L'évasion fiscale devient ainsi une optimisation du bilan, la corruption correspond « simplement » à des frais particuliers considérés comme nécessaires à la conclusion d'un contrat international et un moyen de répondre à la concurrence, etc.
- La perte de compétences de l’État par rapport au secteur privé.
On ne peut anticiper que ce que l’on connaît bien. Or le politique prend toujours plus de retard à comprendre les innovations technologiques donc à légiférer à leur sujet, car la technologie avance à très vive allure. Exemple : nous venons de mettre en place le RGPD ; il aurait fallu le faire il y a une quinzaine d'années : à bien des égards, il est déjà dépassé. Conséquence : l’État se voit contraint de laisser une partie du secteur privé s’autoréguler car la connaissance technique des problématiques posées par les évolutions technologiques est de plus en plus détenue d’abord par des organismes privés (un tiers des spécialistes mondiaux de l'Intelligence Artificielle travaillent pour Google...). L’État, dans ces conditions, perd de sa crédibilité car il est condamné à avoir un train de retard dans leur compréhension. Pensez au secteur financier ou aux révolutions technologiques : comment en prévoir leurs détournements à des fins criminelles alors que c’est le secteur privé, y compris tout un ensemble d’entités criminelles, qui détient l’essentiel de la compétence et des capacités d'innovation ?
Du côté du renforcement :
C’est évidemment l’accroissement des capacités de contrôle des personnes physiques et morales, notamment grâce au big data et au croisement de fichiers (auxquels s'ajoutent les améliorations lentes mais réelles de la coopération policière et judiciaire internationale).
L’État se trouve ainsi en position de stocker, en transparence ou à notre insu, un nombre considérable de données nous concernant. Nous voilà facilement pistés, y compris grâce aux data relatives à nos conversations téléphoniques ou à nos relevés bancaires. Appliqué à la lutte contre le crime et le terrorisme, c'est un élément désormais fondamental. Il n'y a d'ailleurs plus d'enquête sur un serious crime sans données numériques.
A noter que beaucoup jugent ce renforcement inquiétant, ce qui nourrit le débat sécurité/liberté. Il appartient à l’État de respecter les droits des citoyens et de penser l’action à mener bien au-delà de la défense de ses frontières physiques, dans la sauvegarde des valeurs d’une société et d’un mode de vie. Mais force est de constater que chaque individu voit sa vie privée numériquement accessible par les entreprises mais aussi par les gouvernements. Et qu'au niveau national, cette collecte de données numériques permet de rétrécir le champ des libertés publiques, renforcer les capacités de répression mais aussi de mettre en œuvre d’algorithmes prédictifs, capables de déterminer les éléments susceptibles d’influencer individuellement les citoyens mais aussi collectivement une population, y compris, par exemple, dans le cadre de scrutins électoraux.
II. Les Etats face à la violence criminelle.
Tous les pays sont désormais confrontés à de nouvelles menaces à dimension globale, à la fois internationales et multiformes. Criminalité organisée et terrorisme menacent leur sécurité intérieure, y compris celle des plus puissants, et parviennent à dominer les plus faibles.
1. Quand le crime déstabilise l’économie.
- Le développement de l’économie criminelle est devenu plus rapide que celui de la croissance mondiale.
L'ouverture des frontières et les facilités de circulation ont permis aux crimes « classiques » (grands trafics, contrefaçon...) de changer d’échelle. Le marché du crime occupe une part croissante du PIB mondial et « le crime gagne en parts de marché » et mute aussi vite que le marché.
Dans de nombreux États, l'intérêt national est lié à la prospérité du trafic illicite mondial. Dans certains cas, notamment dans de nombreuses régions dépourvues de ressources, le trafic est vital (le Sahara en est le meilleur exemple).
- Mimétisme entre activités licites et illicites.
Il est intéressant de constater que la corrélation entre globalisation et criminalité moderne reflète des formes de mimétisme entre activités licites et illicites. On assiste en effet au développement d’une criminalité transnationale de mieux en mieux organisée capable de développer de nombreuses menaces et que ce mix de menaces se reflète dans un mix d’organisations criminelles.
En effet, les acteurs du crime évoluent sans cesse. De la même manière qu'il existe dans l’économie légale toutes les formes d’entreprises, de l’entreprise individuelle à la multinationale, vous trouvez en matière criminelle de très nombreuses structures qui vont du loup solitaire à des réseaux planétaires, en passant par la start up du crime, la bande de quartier, le gang régional, etc.
Ceci est facilité par l’adoption de modes de fonctionnement de plus en plus comparables. De la petite structure au cartel international, les analogies se multiplient : élaboration de règles propres au groupe, allégeance au groupe prioritaire sur toute autre, hiérarchisation stricte des tâches, utilisation de moyens techniques sophistiqués, liens en réseaux avec des groupes semblables et avec lesquels sont réparties les activités criminelles et les formes de violence exercée, etc.
Désormais, une part importante de la menace provient de groupes hybrides et opportunistes capables de transformations rapides. Il existe un nouveau « melting pot » criminel, intégrant fanatisme religieux, massacres, piraterie, trafic d’êtres humains, de drogues, d’armes, de substances toxiques ou de diamants. Ainsi s’est formé au fil des ans un continuum criminalo-terroriste, un « gangsterrorisme », qui ne correspond plus aux anciennes catégories criminelles.
- La criminalité économique et en cols blancs a aussi largement profité d’une croissance mondiale peu régulée, basée sur une « idéologie du marché » et un consumérisme promus par des élites politiques et économiques liées par des intérêts convergents.
2. Quand le crime gangrène l’Etat.
La corruption de l’Etat, sorte d’apothéose de la criminalité, augmente dans de très nombreux pays ; elle contribue à la montée en puissance de l’économie délictueuse et criminelle, et va jusqu’à déstabiliser certains Etats.
- La corruption de l’Etat n'est pas que l'affaire des républiques bananières et les liens entre mafias et monde politique sont très anciens.
En Russie, où régnait déjà sous Brejnev une intense corruption, l'économie libérale débridée qui fait suite à la chute du communisme fait que « tout est à vendre ». Selon Interpol, 40% du PIB russe serait toujours contrôlé par des groupes criminels.
Rappelons aussi que les mafias siciliennes et italiennes ont joué un rôle non négligeable dans la libération de la péninsule, à la demande des autorités américaines, en 1944. Ou qu'il existait des liens étroits entre certaines familles mafieuses et la famille Kennedy. Personne n'ignorait que les capitaux à l'origine de la création de Las Vegas étaient d'origine mafieuse.
L'exemple du sud de l'Italie, depuis plus de 50 ans, semble montrer que lorsque les organisations criminelles prospèrent sur l'exploitation de la pauvreté, elles créent une situation quasi irréversible. En détournant la production de richesse vers l'organisation, elles recrutent d'autant plus facilement. Puis elles imposent un modèle économique et social dominant. Enfin, elles corrompent les institutions et investissent la sphère politique.
- La Commission Européenne estime le coût de la corruption en Europe à près de 130 Milliards €. La France n'occupe pas une place très enviable dans le classement des pays soumis à la corruption, selon Transparency international (autour de la 20 ème selon les années).
Même dans des pays qui ne sont plus considérés « en voie de développement », la corruption va désormais au-delà de l'enrichissement des individus et des partis au pouvoir. Elle touche au contrôle de l’Etat. Cf. par exemple les déclarations à propos de l’Italie du Nord, d'Umberto Ambrosoli (D-Lombardie - 2013) : « La corruption a explosé depuis cinq ans. Nous avons baissé la garde sur le respect de la légalité : la Mafia arrive là où la légalité n'est plus une valeur » . « Le fait qu'un conseiller municipal PDL [Peuple de la liberté, le parti fondé par Silvio Berlusconi] ait acheté des votes à la 'Ndrangheta est un signal d'alarme terrifiant ».
3. Quand le crime prend possession du territoire.
- L'implantation internationale des organisations criminelles s’est renforcée.
Les triades chinoises sont présentes la plupart des « chinatowns » dans le monde, où elles régissent aussi la majorité des conflits et délits de droit commun. Sont également très répandues : les mafias russes, jusqu'en Israël, Australie, Canada ; les clans nigérians, au Brésil, Etats Unis et Europe. La mafia turque, acteur principal de la route des Balkans, n'a pas attendu l'intégration européenne pour s'implanter dans les principaux pays d'Europe.
Les groupes criminels contrôlent rarement toute la chaine de la production à la distribution d'un produit illicite. La mondialisation a facilité les rapports opérationnels stables entre eux. Elle a parfois permis que s’établissent des hiérarchies et des réseaux spécifiques, comme par exemple pour l’exploitation mondiale de trafics illicites ou l'exploitation des ressources naturelles, contribuant souvent aux rebellions et conflits locaux. Les belligérants trouvent dans les trafics illicites des moyens de financement et favorisent de fait l'enracinement de puissances criminelles dans les territoires fragilisés : Balkans, Caucase, Corne de l'Afrique, Région des Grands Lacs…
- A un stade encore plus avancé, on trouve des cas de maîtrise des territoires par des organisations criminelles.
Dans le sillage de la mondialisation, les réseaux criminels ont investi des territoires sous forme, par exemple d'occupation armée de régions entières en Asie (triangle Birmanie Thaïlande Laos) et en Afrique (Nord Mali, sud Libye). Les mafias maitrisent également des territoires par la corruption des sphères politiques de certains Etats faibles et instables aux frontières de l'UE (Kosovo, Albanie).
L’investissement des capitaux mafieux dans l’économie financière et dans l’industrie, volet essentiel du blanchiment, est la ressource essentielle du développement des « Etats voyous ». Nauru, petite île indépendante du Pacifique est connue pour être la place de blanchiment de l'argent russe. Le Surinam, un demi-million d'habitants, est devenu le principal port de la drogue en Amérique du Sud. La valeur de la drogue saisie annuellement au Tadjikistan est de l’ordre de son PIB officiel. La Transnistrie, région sécessionniste de la République Moldave, est un vaste marché d’armes (mines, missiles, obus, roquettes et mitrailleuses...) qu'elle exporte sans contrôle international, ni contrôle de la Moldavie, qui n'a jamais reconnu cette sécession.
- Il arrive enfin que dans les écosystèmes de la violence (zones grises, jungles urbaines, mégapoles…), criminalité rime avec sécurité. Dans sa forme la plus achevée, la criminalité organisée constitue une institution parallèle dont, au moins localement, la grande majorité de la population s'accommode. Lorsque les organisations prennent le monopole des activités criminelles sur un territoire, elles s'opposent aux facteurs de trouble tels que la délinquance d'où provient l'essentiel du sentiment d'insécurité. Elles sont de ce fait appréciées du pouvoir politique. Le Japon est caractéristique de cette situation, ainsi qu'une partie de la Chine. Il en est de même des Chinatowns dans le monde mais aussi dans nombre de banlieues des mégapoles, zones de « non-droit » ou pourtant, l’ordre règne.
III. Les crimes de portée stratégique.
A des marchés devenus mondiaux, correspondent des activités criminelles d’une ampleur inédite et qui représentent autant d'exemples de rupture dans la sphère de l’illicite.
1. Finance mondiale : la grande lessiveuse
La criminalité transnationale fait peser un risque bien supérieur à celui, visible et identifiable, des activités illégales. Les profits colossaux issus des trafics s'investissent désormais dans la plupart des secteurs sains de l'économie mondiale, après passage dans la grande lessiveuse qui est le sous-produit de la mondialisation financière.
Annuellement, entre 600 et 1800 milliards de dollars seraient blanchis dans le monde. Ces sommes correspondent à la fois à des revenus dissimulés pour échapper au fisc et au produit d'activités criminelles violentes. La confusion des deux amène les établissements financiers peu regardants à fermer les yeux sur l'origine réelle des capitaux. Selon l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC), des indices laissent penser que des milliards de dollars provenant du trafic de drogue et d'autres activités illégales ont servi à secourir certaines banques au bord de l'effondrement en 2007. Quelles auront été les contreparties d'un investissement aussi risqué ?...
2. Le détournement des révolutions technologiques à des fins criminelles.
; les GAFA nouveaux maîtres du monde, Big Brother, l'IA et le projet politique de Google. L’homme augmenté et le cyborg
3. Le crime environnemental
a. La montée en puissance des manipulations financières à grande échelle.
--> La violence terroriste : du politique au religieux et du religieux à l’identitaire.
--> Le continuum criminalo-terroriste ; le criminel hybride, une marginalisation polymorphe et autocentrée
et (ii) par une financiarisation de l’économie qui a contribué à la déconnexion de l’économie réelle et d’une économie financière relativement autonome et tenue par un nombre restreints de spécialistes.
Quelques exemples :- le terrorisme alimenté par l'islamisme radical lui-même souvent prétexte aux trafics les plus divers ;
- les risques que fait peser le cyber crime sur la stabilité des systèmes informatiques et la sécurité des transactions internet.
Je
3. Exemples de rupture
--> Détournement des révolutions technologiques à des fins criminelles ; les GAFA nouveaux maîtres du monde, Big Brother, l'IA et le projet politique de Google. L’homme augmenté et le cyborg
--> Les crimes de dimension stratégique
a. Environnement
b. Finance mondiale : la grande lessiveuse
c. La multiplication des guerres ou guérillas d'origine criminelle
La contrebande et le trafic d'êtres humains financent des réseaux terroristes dont les revendications politiques ou religieuses ne sont souvent qu'une couverture pour légitimer les enlèvements, le pillage, la piraterie ou l'exploitation illégale des ressources naturelles. On parle de plus en plus de "gangstero-djihadisme". Au Mali, au Nigeria, en Syrie, des bandes criminelles se font mercenaires d'occasion au service du Djihad.
Pour le futur - quelques scénarios à craindre
- Différentes formes de déstabilisation des Etats provoquées par les activités mafieuses rendant ces Etats « infréquentables » parce que trop corrompus, ces Etats devenant ensuite agressifs du fait de leur isolement. La Russie pourrait être sur ce chemin.
- Différentes formes de crises économiques et sociales liées aux trafics illicites ou au poids excessif de l’économie souterraine. Les pays de l’Europe du sud sont plus ou moins dans ce scénario.
- La multiplication de régimes démocratiques autoritaires avec la prise de pouvoir d’une classe plus ou moins corrompue par les mafias. La montée des mouvements nationalistes en Europe, la dérive de la Hongrie, peuvent faire craindre un tel scénario dans le futur.
- Un fort ralentissement de l’expansion du commerce mondial qui mettrait en relief le coût croissant de la mondialisation en termes de sécurité et de corruption au regard de bénéfices amoindris. Certains économistes pensent que cette hypothèse se met en place.
- Une crise financière qui mettrait en évidence le poids des capitaux d’origine criminelle dans la déstabilisation du système financier international.
- Une catastrophe majeure faisant suite au piratage ou à la dégradation des réseaux internet d’un ou plusieurs pays et qui mettraient en cause des organisations criminelles internationales.
- Une catastrophe écologique liée à la dissémination de déchets toxiques par des organisations criminelles.
- Un nouveau 11 Septembre provoqué par des terroristes en possession d’armes issues du trafic international : missiles, bombes sales, gaz…
II. La fragmentation progressive du monde porte en elle des ferments de conflits futurs.
1. La mise en cause du modèle occidental de l’ « occidentalisation » du monde.
- Enfin, la mondialisation, vécue par la majorité des populations comme une « occidentalisation » du monde, a provoqué les réactions de rejet de tous ceux qui se trouvent exclus, volontairement ou non, ou souhaitent s’exclure d’eux-mêmes, de ce vaste mouvement international, réactions qui vont du « repli » identitaire ou communautaire jusqu'aux expressions les plus violentes de la révolte.
Nous vivons une triple crise qui marque le "retour de l'Histoire".
La fin de la fin de l'Histoire
- une crise des valeurs. La perte des repères – accélération du temps, information continue et manque de distance réflexive, complotisme et survalorisation du moi ; la mise en cause de l’humanisme et la contestation des valeurs universelles au profit du culturalisme ; le retour des croyances et du religieux.
- une crise du progrès. Interrogations sur les effets pervers du progrès scientifique et appréhensions devant les révolutions technologiques. Mise en cause des modèles économiques destructeurs des ressources. Conscience de la finitude de la planète et des dégâts environnementaux. Les nouveaux maîtres du monde. L’IA et le projet politique de Google. L’homme augmenté et le cyborg
- une crise de la régulation. Anomie de la régulation mondiale et mise en cause du multilatéralisme. Menaces sur le commerce mondial ; les pays émergents pourront-ils accepter à nouveau des entraves à leurs exportations, devenues vitales ?
2. Le retour des rapports de force entre les Etats
- Economie : La concurrence sauvage entre Etats pour la conquête des marchés, comme pour l'accès aux matières premières ne sont pas sans risques de conflits à terme. Modèles alternatifs - routes de la soie.
- Géopolitique :Les menaces de la force. Le retour de « l’ennemi », terme qui avait disparu au profit des nouveaux risques et des nouvelles menaces. Impuissance stratégique des Occidentaux au Moyen-Orient. Guerres hybrides.
- Repli sur soi : Les pays mis en difficulté par la mondialisation voient croître l'influence des partis politiques nationalistes et extrémistes. Retour aux politiques d’« égoïsme national » (la volonté de « reprendre son destin en main »). Retour des frontières, rejet de l’ « Autre » (la question migratoire, la gestion des diasporas…)
III. De la difficulté à lutter contre les évolutions récentes du monde criminel
1. Aveuglements
La difficulté à voir
Le politiquement correct (pas de vague, la culture de l'excuse)
L’évolution rapide des menaces et la difficulté de l’anticipation
2. Forces et faiblesses des moyens à la disposition du politique face au crime
Forces : la dimension stratégique de l’Etat face aux dimensions tactiques des actions criminelles
Faiblesses : difficultés à s’attaquer aux causes profondes
Le débat sécurité-liberté
3. La coopération internationale
1. Une triple crise qui marque le "retour de l'Histoire".
La fin de la fin de l’Histoire et la mise en cause de l’ « occidentalisation » du monde
-
La crise des valeurs
La perte des repères. La mise en cause de l’humanisme. La contestation des valeurs universelles au profit du culturalisme.
Le retour du religieux
-
La crise du progrès
Interrogations sur les effets pervers du progrès scientifique
Appréhensions devant les révolutions technologiques. Les nouveaux maîtres du monde. L’IA et le projet politique de Google. L’homme augmenté et le cyborg
-
La crise de la régulation
La volonté de construire une société monde échoue devant l’anomie de la régulation mondiale et se traduit par la mise en cause du multilatéralisme
Une mondialisation conduite par le marché et pas par le droit (la succession des crises économiques et financières…)
La finitude du monde et la crise environnementale
2. Les réactions politiques
Bonsoir,
Cette première séance est une introduction à la problématique des évolutions, mutations et ruptures dans le monde de l'illicite qui vont nous occuper cette année. Nous allons évoquer quelques outils de compréhension de l'évolution de la violence criminelle dans le monde et quelques éléments de méthodologie relatifs à l'anticipation de « l’avenir du crime ».
Globalisation et violence criminelle
Un élément de cadrage tout d'abord. Par souci d'efficacité, nous nous concentrerons pendant toutes nos séances sur les trente dernières années, qui correspondent à la montée en puissance de la globalisation et à un profond bouleversement des dynamiques de la criminalité et de la violence dans le monde. De fait, les menaces criminelles contemporaines ne sont plus des phénomènes marginaux de la mondialisation mais font intégralement partie du développement de celle-ci.
I. La criminalité moderne se développe en symbiose avec la globalisation, elle en épouse toutes les évolutions et, à bien des égards, elle lui est indispensable.
Sur cette période récente que l'on peut faire partir de l'effondrement du bloc soviétique, certaines menaces anciennes n’ont évidemment pas changé de nature mais, simplement, d’ampleur et de mode opératoire. La délinquance de rue, la drogue, les réseaux de prostitution, le trafic d’armes, le terrorisme même : rien de cela n’est nouveau. Mais ces menaces évoluent sans cesse - pensez, par exemple, aux trafics de migrants ou au terrorisme d’inspiration religieuse : ils ont pris une importance sans commune mesure avec ce que l’on connaissait il y a seulement dix ans.
Surtout, d’autres menaces sont apparues qui paraissent liées, par leur nature même, à la globalisation, à travers deux dimensions essentielles de celle-ci : les facilités de circulation des personnes, des capitaux et des biens ont favorisé l’explosion des grands trafics internationaux comme, par exemple, celui de la contrefaçon, devenue une véritable « industrie criminelle » ; l'arrivée de l'internet a entraîné l'émergence d'un ensemble de cyberdélits et de cybercrimes qui regroupent, comme vous le savez, plusieurs types d’infraction, etc.
Ainsi faisons-nous face aujourd'hui à des menaces anciennes demeurées importantes et, d’autre part, à des menaces liées à l’émergence de nouveaux marchés, à l’ouverture des frontières, ou encore à la révolution numérique. Évidemment, ces deux catégories de menaces ne sont pas étanches mais se renforcent l'une l'autre grâce à de nombreux liens. Que l’on pense, par exemple, à la vente sur internet de médicaments contrefaits.
II. Les raisons de cette corrélation entre criminalité moderne et mondialisation sont nombreuses et de nature différente.
1. Le retard du droit sur le marché
Avec l’ouverture des frontières à la circulation des personnes, des biens et des capitaux, le marché a envahi toutes les sphères de la société, même les plus intimes. Le marché s’est mondialisé, faisant tomber les frontières. Le droit n’a pas suivi ce mouvement. Ce « retard du droit sur le marché » est l’élément peut-être le plus déterminant dans la montée des phénomènes criminels contemporains.
2. Les risques intrinsèques à la mondialisation
Si la mondialisation se révèle bénéfique en ce qu'elle améliore les échanges entre les hommes et semble génératrice de croissance économique, elle demeure porteuse de trois grands types de risques :
- Les réactions de rejet de tous ceux qui se trouvent exclus, volontairement ou non, ou souhaitent s’exclure d’eux-mêmes de ce vaste mouvement international, réactions qui vont du « repli » identitaire ou communautaire jusqu'aux expressions les plus violentes de la révolte ;
- L’émergence de nouvelles vulnérabilités, notamment celles liées à l’hyper connexion du monde - vulnérabilités pour les États bien sûr, mais aussi pour les individus et les entreprises ;
- Le « contournement » des États, soit par la perméabilité de leurs frontières physiques devenues transparentes aux flux de toute nature, soit par l'affaiblissement de leurs normes juridiques devenues inapplicables dans des cadres nationaux trop étroits.
Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point.
3. Les faiblesses apparues dans les États démocratiques
Il nous faut constater que, dans plusieurs pays démocratiques avancés, à commencer par les pays européens, de nombreuses fonctions régaliennes sont affaiblies alors que peu d’autres se renforcent.
Du côté de l’affaiblissement :
III. Mimétisme entre activités licites et illicites.
Il est intéressant de constater que la corrélation entre globalisation et criminalité moderne reflètent des formes de mimétisme entre activités licites et illicites. On assiste en effet au développement d’une criminalité transnationale de mieux en mieux organisée qui profite non seulement de la porosité des frontières, des disparités des législations nationales mais aussi des lacunes de la coopération policière et judiciaire internationale.
1. Les activités criminelles mutent aussi vite que le marché
De la cyber extorsion à la contrefaçon de médicaments en passant par le trafic de déchets, l’innovation des organisations criminelles n’a pas de limite. La réactivité des entreprises criminelles et la plasticité de leurs méthodes montrent qu’elles ne ratent jamais, pour ce qui les concerne, le train de l’innovation… et qu’elles ne cessent, pour agir, d’inventer, de s’adapter à leur environnement et de profiter des divergences entre les approches nationales.
Au final, comme vous le savez, les produits du crime représentent une part non négligeable de l'économie mondiale.
2. Ce mix de menaces se reflète dans un mix d’organisations criminelles.
En effet, les acteurs du crime évoluent sans cesse. De la même manière qu'il existe dans l’économie légale toutes les formes d’entreprises, de l’entreprise individuelle à la multinationale, vous trouvez en matière criminelle de très nombreuses structures qui vont du loup solitaire à des réseaux planétaires, en passant par la start up du crime, la bande de quartier, le gang régional, etc.
Ceci est facilité par l’adoption de modes de fonctionnement de plus en plus comparables. De la petite structure au cartel international, les analogies se multiplient : élaboration de règles propres au groupe, allégeance au groupe prioritaire sur toute autre, hiérarchisation stricte des tâches, utilisation de moyens techniques sophistiqués, liens en réseaux avec des groupes semblables et avec lesquels sont réparties les activités criminelles et les formes de violence exercée, etc.
Désormais, une part importante de la menace provient de groupes hybrides et opportunistes capables de transformations rapides. Il existe un nouveau « melting pot » criminel, intégrant fanatisme religieux, massacres, piraterie, trafic d’êtres humains, de drogues, d’armes, de substances toxiques ou de diamants. Ainsi s’est formé au fil des ans un continuum criminalo-terroriste, un « gangsterrorisme », qui ne correspond plus aux anciennes catégories criminelles.
Bref, résumons cette première partie en disant que les dynamiques de la violence criminelle sont désormais consubstantielles aux évolutions des sociétés plongées dans le contexte de la mondialisation.
La deuxième partie de cette première séance est consacrée aux
Éléments de méthodologie relatifs à l'anticipation de « l’avenir du crime »
I. Toutes nos prévisions sur « l’avenir du crime » vont être liées aux évolutions futures des différentes dimensions de la mondialisation.
Donnons trois exemples.
a. La montée en puissance des manipulations financières à grande échelle.
Des technologies autorisant des transactions financières à très haute fréquence ; des algorithmes prédictifs permettant de devancer la décision humaine ; des capitaux numérisés échappant à tout contrôle… : la finance moderne a tous les atouts pour devenir l’un des principaux terrains du « grand jeu » criminel mondial. Sa caractéristique est que les principaux prédateurs sont des spécialistes de haut niveau parfaitement intégrés dans des structures licites.
b. Le détournement des révolutions technologiques à des fins criminelles.
Tout progrès technologique engendre de nouvelles possibilités d’usage contraire au bien public. Ce sont les manipulations de masse et l’influence extérieure sur les élections par le big data et les réseaux sociaux. C’est le hacking des données d’entreprises ou de particuliers, mais aussi le cryptage illicite de données suivi de demandes de rançon via des logiciels malveillants. Demain, ce sera le vol de propriété intellectuelle par l’utilisation des imprimantes 3D, le repérage et la surveillance par les drones de lieux à cambrioler ou à attaquer, les utilisations frauduleuses des monnaies virtuelles, à commencer par le bitcoin, etc. Après-demain, la génomique et l’intelligence artificielle s’attacheront à modifier l’être humain lui-même, de façon difficilement contrôlable.
Certains acteurs se retrouvent ainsi en capacité de démultiplier leur pouvoir de nuisance (pour la CIA : "super-empowered actors have access to technologies that magnify their ability to wreak havoc"). Autrement dit, les nouvelles technologies modifient les rapports de puissance traditionnels. Elles n’ont pas nécessairement le caractère d’une arme (mais elles peuvent l’avoir, comme les robots et les drones) ; elles ont des effets disproportionnés aux moyens mis en œuvre (ce qui les apparente au modus operandi terroriste) ; elles sont à la portée d’individus isolés auxquels elles confèrent une puissance considérable ; elles peuvent, dans certains cas (cyber, en particulier), garantir à ceux-ci l’anonymat et donc l’impunité.
c. Les questions environnementales.
Un des risques majeurs, peut-être le plus important pour notre avenir, est celui de la dégradation de l’environnement. On peut raisonnablement penser que, sous la pression des opinions publiques, et peut-être grâce à la COP21, des législations vont progressivement se mettre en place pour en protéger des pans essentiels. Mais on peut aussi prédire que cela se fera en ordre dispersé, avec des contraintes juridiques très différentes selon les pays et selon les secteurs. Pain béni pour la criminalité internationale ! De la gestion des déchets urbains aux poubelles nucléaires, des trafics d’espèces rares au truquage des quota de pêche, de la déforestation abusive à la mise en dépendance de populations par les OGM, de la manipulation financière sur les quotas carbone à celle sur le cours boursier des terres rares, ce qui va se jouer autour de la survie de la planète dans les années qui viennent va offrir des opportunités formidables à tout un ensemble d’entités criminelles spécialisées.
Nous avons donc vu que pour prévoir l’avenir du crime, il nous fallait suivre avant tout les évolutions de la mondialisation. Et voir comment ces évolutions laissent, dans leurs interstices mêmes pourrait-on dire, le champ libre aux criminels.
II. Pour autant, nous sommes loin de pouvoir tout anticiper.
Le décèlement des menaces futures apparaît chaque jour plus difficile. Là réside le paradoxe. Notre capacité d’analyse des forces à l’œuvre dans le monde contemporain n’a jamais été aussi développée. Notre compréhension des déterminants politiques, économiques, sociaux, culturels… appuyée sur d’innombrables relectures critiques de l’Histoire, a considérablement progressé en quelques décennies.
Et pourtant, nous restons régulièrement sidérés par de nombreux événements, dont la survenance inattendue met chaque fois en question notre capacité prédictive.
C’est que nous vivons aujourd’hui dans un monde qui ne se laisse plus, ou plus seulement, décrypter par les grilles de lecture classiques. Le monde, qui était compliqué, est devenu complexe. Complexité née, pour l’essentiel, de l’hyper-connexion de la planète qui fait que (1) les événements ne s’enchaînent plus selon des modèles « mécanistes » traditionnels, (2) l’infinie multiplicité des interactions contourne et déjoue les volontés de régulation politique et normative et (3) nous voyons naître chaque jour de nouveaux réseaux de toute nature, économiques, médiatiques, culturels, scientifiques et, bien entendu, criminels….
1. Des évènements imprévisibles ?
Dans le contexte que nous venons de décrire, certains analystes considèrent qu'il faut admettre qu’il y a des événements prévisibles et d’autres qui ne le sont pas.
Pour cette école de pensée, développée notamment par Nassim Taleb dans Le Cygne Noir, les événements prévisibles sont tous ceux qui relèvent de séries statistiques et continues : la démographie et ses conséquences, le changement climatique et ses conséquences, la diffusion du progrès technique, etc. Pour tout le reste, la prudence s’impose. Que ce soit par exemple en géopolitique (qui peut dire ici ce que seront la Syrie, l’Irak et le Yémen dans seulement un an ou deux ?) ou bien en ce qui concerne les ruptures technologiques.
Pour les tenants de cette approche, accumuler des données sur les événements impossibles à prévoir ne les rend pas plus prédictibles ; ils sont de nature différente des événements prédictibles. En particulier, si tout n’était qu’une question de big data, comment expliquer que l’Occident, qui développe cette obsession de l’accumulation des données depuis des années, continue de se faire surprendre par des développements qui s’opèrent sous son nez et qu’il s’avère pourtant incapable de comprendre ? Et il ne s'agit pas seulement d'évènements lointains. Cet Occident s’avère en effet incapable, malgré un océan de données, de se comprendre lui-même, comme en témoigne l’énorme fiasco des prédictions du Brexit, de la victoire surprise de Donald Trump, ou encore l’irruption d’apprentis djihadistes de plus en plus difficilement repérables chez nous.
A titre personnel, je trouve une certaine pertinence à cette manière de voir. Et je considère que, dans ce contexte, toute démarche prédictive doit s’accompagner d’une grande humilité. Mais il faut bien la tenter...
2. Comment, d’un point de vue méthodologique, appréhender cette complexité du monde ?
Pour cette séance introductive, s'il n'y avait qu'une idée force à retenir, ce serait celle-ci : le monde contemporain doit, pour être compris, être appréhendé à travers plusieurs grilles de lecture simultanément. Tout événement possède plusieurs dimensions. Je prends souvent l’analogie de l’image en couleur de la télévision. Celle-ci est constituée par la superposition d’une image rouge, d’une verte et d’une bleue. Il faut les trois pour bien restituer le sujet de l’image. Pour décrypter le monde, il vous faut, de la même manière, plusieurs niveaux d’analyse superposés, pour obtenir ce qu’en anglais on appelle the global picture.
Prenons l’exemple des causes du terrorisme. Le terrorisme contemporain ne se laisse pas appréhender, comme celui des décennies passées, à partir de quelques causalités immédiatement perceptibles. Celles-ci apparaissent désormais à la fois globales et locales.
Une approche par la multiplicité des grilles d’analyse permet d’en établir une « cartographie » par l’emboitement en poupées russes des principaux éléments contextuels. Le plus « englobant » correspondrait alors à certaines crises liées à la mondialisation : réactions de rejet de l’ « occidentalisation » de la planète dont nous avons déjà parlé, échecs de la gouvernance mondiale, conséquences géostratégiques de la concurrence pétrolière et gazière, explosion de l’économie criminelle… La poupée gigogne plus petite reflèterait les crises régionales : le chaos irako-syrien et la cristallisation des antagonismes au Moyen-Orient largement entretenus par des interventions extérieures à courte vue, le désarroi de l’Europe qui a laissé s’installer en son sein un écosystème djihadiste reliant des foyers de violence potentielle constituant autant de relais de l’islamisme radical… Puis on descendra au niveau national, à commencer par la France : le doute identitaire, les coups portés à la laïcité, la désacralisation du politique dans notre pays… On se focalisera ensuite sur l’échelon local : la dégradation des ghettos urbains notamment, l’absence de perspective et les difficultés de l’inclusion sociale pour les jeunes, l’importance de l’économie parallèle… Et, pour finir, il faut chercher les ressorts ultimes du terrorisme dans la psychologie individuelle de ceux qui basculent dans l’action violente : frustrations diverses, recherche de sens, quête identitaire, sentiment d’une discrimination communautaire, désir d’action…
Aucune de ces causes n’explique, à elle seule, les attentats récents. Toute explication univoque (sociale, géopolitique, religieuse, psychologique…) s’avère insuffisante. de plus, l’identification des niveaux de causalité du terrorisme doit être prolongée par une analyse des interactions entre eux. Non seulement du global vers le local, en un vertigineux entonnoir, mais aussi en sens inverse, du local vers le global. Dans le grand chaudron de la mondialisation, les causes, mais aussi les effets, de la violence terroriste s’enchevêtrent à, et entre, tous les échelons : le terrorisme est devenu « systémique ».
3. A partir de cet exemple, on peut voir que l'exercice d'anticipation des futures menaces criminelles gagne considérablement au décloisonnement des approches et des compétences.
Cela passe par le croisement d'experts venus d'horizons différents, du monde du law enforcement mais aussi de la société civile dans sa très grande variété (universitaires, membres de think tanks, philosophes, sociologues, anthropologues mais aussi artistes, communicants, etc.)
A ces expertises croisées s'ajoutent deux évolutions intéressantes qui concernent la surveillance d'activités délictueuses :
a. Le développement d’une « conscience citoyenne » un peu partout dans le monde.
Le résultat, c’est une plus forte implication directe des citoyens dans des fonctions de surveillance de toutes sortes d’activités : activités de l’État (le cas de Snowden est emblématique), activités sur Internet (comme le montrent des hackers de type « Anonymous »), activités des entreprises (avec les lanceurs d'alerte)… Je suis convaincu pour ma part que les entreprises criminelles n’échapperont pas à ce nouveau type de surveillance par les individus, agissant justement au nom de leur conscience citoyenne.
L’arme principale de ces mouvements, c’est la mise en lumière médiatique des faits délictueux ou criminels. Parfois certes en instrumentalisant les journalistes. Rien ne gêne plus les fautifs que la transparence. Ce n’est pas pour rien que Transparency International a choisi son nom pour dénoncer la grande corruption.
C’est, par exemple, le développement d'ONG luttant contre les trafics de personnes ou l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants partout dans le monde. C’est le mouvement des commerçants qui, à la suite de Vincenzo Conticello, ont refusé de payer le « pizzo », l’impôt mafieux, à Palerme. Ce sont les associations de consommateurs qui dénoncent les fraudes aux produits alimentaires, les jouets dangereux ou, de façon générale, le non-respect des normes de protection par des entreprises peu scrupuleuses à dessein.
b. Une deuxième évolution relève de « l’internet des objets », qui introduit un changement du paradigme de la surveillance généralisée.
La capacité de ce nouveau « réseau de réseaux » à récupérer, stocker, transférer et traiter, sans discontinuité entre les mondes physiques et virtuels et sous forme d’autodiagnostics, des quantités considérables de données, va permettre à des « cyber objets » d’effectuer en permanence une détection d’intrus ou d’anomalies dans des systèmes complexes.
Cela étant, face à cette évolution, il restera nécessaire de garder « l’humain dans la boucle ». Par exemple, le traitement automatisé des données apportera une aide considérable mais ne remplacera pas notre capacité à détecter et à décrypter des opérations d’influence ou de désinformation sur le web. De plus, il faudra toujours prendre le temps de féconder ces résultats techniques par une « saisie » intellectuelle, c’est-à-dire ne pas précipiter la production de synthèses et de théories en affirmant que l’urgence fait loi. Une mauvaise évaluation de situations ou d’acteurs génèrera des conséquences encore plus néfastes qu’une prise de recul, certes facteur d’un surcroît de délais, pour bâtir un avis motivé et des préconisations solides.
Concluons ainsi cette deuxième partie :
- La complexité croissante du monde rend chaque jour l’anticipation et la prévision plus difficiles et il est peu utile d'essayer de prédire plus que les tendances et les évolutions. Nul ne peut dire quand et où aura lieu le prochain attentat terroriste. En revanche, il faut s’astreindre à toujours mieux déceler les évolutions permettant d’anticiper les formes du terrorisme et des menaces criminelles à venir.
- Il ne faut pas hésiter à remettre en cause le tout technologique qui nous aveugle. Une approche stratégique ne peut faire l’économie de l’apport réel mais aussi des limites du big data dans les approches prédictives.
- Nulle entité n’est omnisciente. La nécessité de l’anticipation a, par exemple en matière de terrorisme, montré l’importance fondamentale du renseignement. Pour autant, le renseignement ne peut à lui seul, couvrir le champ de cette anticipation. Le croisement des compétences entre fonctionnaires, experts, universitaires, écrivains, artistes, … est seul à même de poser des diagnostics dégagés des biais cognitifs, de déceler grâce à la sensibilité de chacun des lignes de force de nature différente, et, peut-être et surtout, de s’affranchir du politiquement correct et motiver au mieux l’autorité politique à regarder le monde tel qu’il est et non tel qu’elle voudrait qu’il soit./.
Plan du Compendium
CRM 213 - Année 2018-2019
Evolutions, mutations et ruptures dans le monde de l'illicite
I. Le contexte : un monde chaotique
1. Une triple crise qui marque le "retour de l'Histoire".
La fin de la fin de l’Histoire et la mise en cause de l’ « occidentalisation » du monde
-
La crise des valeurs
La perte des repères. La mise en cause de l’humanisme. La contestation des valeurs universelles au profit du culturalisme.
Le retour du religieux
L'argent roi. 800 possèdent autant que la moitié. Le profit comme seule fin - le déclin de l'intérêt général - la fin du souhait de lutter contre les inégalités. Le point limite du libéralisme. L'homme confronté à sa propre liberté et sans cesse évalué.
-
La crise du progrès
Interrogations sur les effets pervers du progrès scientifique
Appréhensions devant les révolutions technologiques. Les nouveaux maîtres du monde. L’IA et le projet politique de Google. L’homme augmenté et le cyborg. La finitude du monde et la crise environnementale
-
La crise de la régulation
La volonté de construire une société monde échoue devant l’anomie de la régulation mondiale et se traduit par la mise en cause du multilatéralisme
Une mondialisation conduite par le marché et pas par le droit (la succession des crises économiques et financières…)
2. Les réactions politiques
-
Le retour aux politiques d’ « égoïsme national » (la volonté de « reprendre son destin en main »),
La question migratoire : le retour des frontières, le rejet de l’ « Autre », la gestion des diasporas…
-
Les menaces de la force. La désignation de l’ennemi, terme qui avait disparu au profit des nouveaux risques et des nouvelles menaces.
-
Les modèles alternatifs de régulation (routes de la soie…) et le retour des
II. La violence criminalo-terroriste.
Les phénomènes criminalo-terroristes ne sont plus des phénomènes marginaux de la mondialisation
1. Un exemple d'évolution : l’économie criminelle
Une part croissante du PIB mondial
Ouverture des frontières et facilités de circulation : Les crimes « classiques » qui changent d’échelle : grands trafics, contrefaçon,
Absence de régulation normative : Les crimes de dimension stratégique (finance, environnement, détournement des révolutions technologiques à des fins criminelles)
2. Un exemple de mutation : l’hybridation des menaces
La violence terroriste : du politique au religieux et du religieux à l’identitaire.
Les écosystèmes de l’hybridation : zones grises, jungles urbaines, mégapoles…
Le criminel hybride, une marginalisation polymorphe et autocentrée
3. Exemples de rupture : l'hyper violence terroriste, les GAFA nouveaux maîtres du monde, Big Brother et l'IA
III. De la difficulté à lutter contre les évolutions récentes du monde criminel
1. Aveuglements
La difficulté à voir
Le politiquement correct (pas de vague, la culture de l'excuse)
L’évolution rapide des menaces et la difficulté de l’anticipation
2. Forces et faiblesses des moyens à la disposition du politique face au crime
Forces : la dimension stratégique de l’Etat face aux dimensions tactiques des actions criminelles
Faiblesses : difficultés à s’attaquer aux causes profondes
Le débat sécurité-liberté ; le rôle de la société civile.
3. La coopération internationale
1ère Partie
Globalisation et violence criminelle
Introduction : Les menaces criminelles contemporaines ne sont plus des phénomènes marginaux de la mondialisation.
I. La criminalité moderne se développe en symbiose avec la globalisation
II. Les raisons de cette corrélation entre criminalité moderne et mondialisation sont nombreuses et de nature différente.
1. Le retard du droit sur le marché
2. Les risques intrinsèques à la mondialisation
3. Les faiblesses apparues dans les États démocratiques
III. Mimétisme entre activités licites et illicites.
1. Les activités criminelles mutent aussi vite que le marché.
2. Ce mix de menaces se reflète dans un mix d’organisations criminelles.
Conclusion : les dynamiques de la violence criminelle sont désormais consubstantielles aux évolutions des sociétés plongées dans le contexte de la mondialisation.
2ème Partie
Éléments de méthodologie relatifs à l'anticipation de « l’avenir du crime »
Introduction :
I. « L’avenir du crime » va être lié aux évolutions futures des différentes dimensions de la mondialisation.
Trois exemples :
a. La montée en puissance des manipulations financières à grande échelle.
b. Le détournement des révolutions technologiques à des fins criminelles.
c. Les questions environnementales.
II. Pour autant, nous sommes loin de pouvoir tout anticiper.
1. Des événements imprévisibles ?
2. Comment, d'un point de vue méthodologique, appréhender la complexité du monde ?
3. Décloisonner les approches et les compétences.
Conclusion : La complexité croissante du monde rend l’anticipation et la prévision plus difficiles. Face à cela : ne pas essayer de prédire plus que les tendances et les évolutions ; développer la résilience collective ; ne pas se laisser aveugler par le tout technologique.